Elle a eu 80 ans en février, mais deux ou trois choses de Mia Farrow semblent inaltérables a travers le temps : une extreme minceur suggérant la fragilité, un talent pour l'ambiguité, une détermination farouche ou encore une intelligence instinctive de son image, qu'elle met aujourd'hui au service de l'Unicef, elle qui, toute petite, se revait carmélite. Apres des débuts remarqués dans la série Peyton Place, cette fille de grandie a Beverly Hills, entre son pere John Farrow, réalisateur, et sa mere Maureen O'Sullivan, actrice vedette, se révele en 1968 par sa performance dans Rosemary's Baby. Femme enfant gracile basculant peu a peu dans la terreur, ou la folie, devant la caméra de Roman Polanski, elle y suggere a la perfection les failles intimes d'une psyché torturée. Le tournage lui coute son premier mariage : épousé deux ans plus tôt, Frank Sinatra, de trente ans son aîné et star absolue de l'Amérique, ne supporte pas qu'elle le délaisse pour le film et lui envoie un avocat sur le plateau. Pas question pour elle, malgré ses doutes existentiels, de jouer la jeune épouse docile. A l'écran, elle va devenir l'incarnation d'une féminité mélancolique, inquiete, voire inquiétante, tandis que la maternité (elle est mere de quinze enfants, dont onze adoptés) prend une place prépondérante dans son existence, aux côtés d'abord du musicien André Previn, puis au fil de ses douze ans de vie commune avec Woody Allen. Avant que leur couple et leur famille volent en éclats sous l'eil avide des médias, en 1992, ce dernier aura exposé toute la riche palette de son jeu en treize films, miroirs vertigineux de leur amour, puis de sa fin. Strates En archives rares et extraits de films, appuyés par les mots de l'autobiographie qu'elle a publiée en 1997, apres sa rupture ultramédiatisée avec le cinéaste et les accusations d'inceste sur leur fille Dylan qu'elle a portées contre lui, ce portrait sonde le mystere et la singularité de l'actrice au travers de ses rôles, strate apres strate, du présent au passé. Comme on feuillette les pages d'un album photo a l'envers, il chemine vers l'enfance de Mia Farrow, ou s'ancre une méfiance précoce a l'encontre du monde du cinéma et de ses faux-semblants. Une contradiction qu'elle a finalement résolue sur le tard, en prenant définitivement ses distances avec un art qui, si longtemps, s'est confondu pour elle avec la vie.